Damien De Lepeleire

« Laissez-moi jeter un regard dans votre intérieur et je vous dirai qui vous êtes. » Cette phrase pourrait émerger d’un texte à portée psychologique. En entrant dans l’atelier de Damien De Lepeleire, on risque de trébucher sur des dizaines de ses aquarelles, peintures à l’huile, bricolages, cannettes de bière écrasées en bronze, plantes d’intérieur et livres d’art ancien. Ce doit être le biotope d’une personne nonchalante et artistique. Un peintre à l’esprit ouvert, généreux, quelque peu bizarre. Une âme affranchie qui, dans son besoin de collectionner, prend et donne avec avidité.

L’intérêt caractéristique de De Lepeleire pour les reproductions photographiques nous saute aussitôt aux yeux. « Les livres d’art ancien me captivent presque plus que les œuvres d’art originales » dit-il. Les représentations des œuvres d’art ont apparemment pour De Lepeleire une valeur et une signification particulière.

Quelques œuvres clefs de l’histoire de l’art captent l’attention : ‘16 Jackies’ d’Andy Warhol et ‘International Klein Blue’ d’Yves Klein. De Lepeleire leur confère un nouveau statut. En véritable iconoclaste, il déchire les reproductions photographiques provenant de luxueux catalogues de ventes aux enchères périmés. Il en fait d’imposantes installations ‘New Arte Povera’. En outre, Il recycle ludiquement de petites œuvres d’art pour les vendre par la suite. Se faire plaisir avec un Picasso pour 85 euros seulement ? Pas de problème avec De Lepeleire !

« J’aime la tension qui se manifeste lorsqu’on regarde une reproduction de peinture. La reproduction trahit la peinture. Elle réduit la peinture à un seul aspect, son image, et en nie les aspects matériels, le format et les couleurs. Comme le philosophe culturel Walter Benjamin le mentionnait déjà dans les années 30, le statut de l’art a fondamentalement changé par la possibilité de sa reproduction photographique. Ce que la reproduction de l’œuvre d’art perd de toute façon, c’est son aura. » Par conséquent, De Lepeleire privilégie les reproductions qui ne prétendent pas copier au mieux l’œuvre originale. « Les reproductions en noir et blanc d’une peinture en couleur sont en quelque sorte plus véridiques. Par leur caractère remarquablement différent, les reproductions ne revendiquent pas une fidélité absolue par rapport à l’œuvre originale, » selon l’artiste. « Je trouve intéressant de voir comment les reproductions acquièrent une autonomie propre au travers de leurs défaillances. »

Les installations de De Lepeleire diffusent souvent un sentiment de fragilité et d’enjouement enfantin. De Lepeleire est bien conscient, de manière ironique, du caractère éphémère de son entreprise. Dans son musée du Pop-Up-Art, il sauve maintes sculptures de l’oubli. Les photos en noir et blanc de sculptures italiennes, grecques, africaines et chinoises sont originaires de livres de seconde main mal imprimés, des ramasse-poussière en quelque sorte. De Lepeleire a découpé soigneusement les images et les a collées sur du carton ou des morceaux d’aluminium, conférant au tout un air kitsch. Ensuite, il les a installées debout. De Lepeleire nous ramène à l’origine de l’observation en insufflant en quelque sorte une nouvelle vie en trois dimensions. Car que voit le public ici ? Quelle est la différence entre l’original et la copie debout quand on l’observe de face ? De Lepeleire ne rend-il pas aux reproductions leur caractère unique par le biais de la transformation ?

Son œuvre la plus fragile consiste sans aucun doute en de petites tables Tang. De Lepeleire a coupé à partir de petites boîtes en carton une dizaine de petites tables similaires qui font référence à la dynastie Tang (618-908), une des périodes les plus importantes et les plus cultivées de la civilisation chinoise. Les petites pièces de mobilier coloré qui ont l’air de danser de façon maladroite et surprenante sur leurs petites pattes recèlent beaucoup de poésie et d’humour, les éléments qui forment le fil rouge dans l’œuvre de l’artiste.

Que ce soit par une table de la Chine des années 600-900 ou une référence sémantique à Picasso, De Lepeleire veut stimuler notre imagination. Comment l’œuvre d’art originale serait-elle en fait ? Les reproductions tactiles et sensibles suscitent des questions par rapport à notre expérience de l’art et de l’authenticité de l’observation. De Lepeleire est un artiste qui arrive à exciter le public, physiquement et spirituellement, avec avidité et générosité.